ÉPRISE DE JUSTICE

À 16 ans, j’ai témoigné aux assises dans un procès qui a bouleversé ma vie.

image_author_Nina_Boutléroff
Par Nina Boutléroff
Partager cet article :

Tout est sous contrôle (ou presque)

Parfois la justice répare aussi les couples.

Aujourd’hui, au tribunal judiciaire de Paris, où la lumière frappe les verrières, la matinée est chargée : la cour a une dizaine de dossiers à traiter. Peut-être l’effet « vacances judiciaires » ? Comme pour l’éducation nationale, il existe un calendrier bien défini de périodes pendant lesquelles les audiences correctionnelles n’ont pas lieu.

Dans le public aussi il y a foule, à tel point que la gendarme qui surveille la salle recale des visiteurs. Je suis arrivée à temps.

Les affaires s’enchaînent. À l’appel de leur numéro de dossier, un homme se lève des bancs de gauche et une femme de ceux de droite. 

Lui, monsieur Larré, est l’accusé, elle, madame Diop épouse Larré, est la victime. Lui seul est accompagné d’une avocate. Madame Diop est venue seule car de toute façon, elle ne souhaite pas se constituer partie civile, c’est-à-dire faire reconnaître son statut de victime.

Le président va droit au but et relate les faits tel que l’enquête et les différentes dépositions les racontent. Un matin de septembre, les policiers sont appelés par les voisins du couple pour des faits de violence conjugale. Lorsqu’ils arrivent sur place, une femme en pleurs, serre son bébé dans les bras qui pleure aussi. Elle a été recueillie par les voisins du dessous et dit avoir reçu quatre ou cinq gifles. Mais rapidement son récit est confus puis elle se tait, se renferme face aux questions des policiers. Ces derniers décident alors d’interroger les voisins.

Il se dit que ce n’est pas la première fois qu’il y a des violences au sein de ce couple. L’un des voisins qui a alerté la police ce matin-là, dit avoir vu monsieur « tabasser » sa femme et crier « prenez-la, je ne veux plus d’elle » alors qu’il passait devant l’appartement des époux Larré où la porte était grande ouverte.

À mesure que le président raconte les faits, je vois madame Diop secouer sa tête, elle agite frénétiquement son doigt en signe de contestation. 

Lorsque c’est à son tour de revenir sur les événements, elle tient à préciser plusieurs points énoncés par le président. Elle nie notamment la régularité des violences. Ce fut la première et la dernière fois que son mari a levé la main sur elle. Elle le défend, explique qu’il est malade et dévoué à sa famille. Elle n’ose pas parler de cette maladie qui pèse sur son quotidien et préfère laisser à son époux le soin de l’évoquer lui-même. Elle sait qu’il n’aime pas en parler. Elle admet aussi avoir été à l’origine de la dispute. Elle raconte sa version : au moment où la dispute éclate, elle est très angoissée par le nouveau travail qu’elle vient de décrocher après un post-partum difficile, elle est encore en période d’essai et sous pression. Ce jour-là,  elle presse monsieur Larré pour qu’il prépare l’enfant mais il ne bouge pas du lit, il se sent faible. Alors elle « dérape », lui hurle dessus. Il lui met la première gifle et elle réplique en lui lançant un fer à repasser.

Et tout ça devant leur bébé de 9 mois ? « Ça aussi c’est faux. Quand la dispute a éclaté, nous étions dans la cuisine, puis, mon mari a posé l’enfant dans son berceau, pour le protéger. »

©  Nina Boutléroff© Nina Boutléroff

Rien vu, rien entendu ?

Justement. Cet élément est le seul qui fait tiquer la procureure : « Madame, la chambre du bébé est-elle éloignée de là où vous vous trouviez ? »

Madame Diop s’agrippe à la barre et se balance comme une enfant en enfonçant ses coudes dans le pupitre et en se recroquevillant. Elle acquiesce simplement.

« Est-il possible que votre enfant vous ait entendu ? », continue la procureure.

« Oui, c’est possible » répond madame Diop comme à elle-même. « Si votre dispute a alerté les voisins, alors elle a alerté votre bébé aussi. Et quand vous l’avez pris dans les bras, il pleurait ? » À nouveau, elle hoche la tête.

La présence des enfants lors de violences conjugales est une circonstance aggravante. Cette fois-ci, le bébé n’a rien vu mais il a tout entendu. S’agit-il dans ce cas d’une circonstance aggravante ? 

A-t-on besoin d’avoir vu la scène pour être témoin ? Ne dit-on pas « Je n’ai rien vu, rien entendu » ? 

À cela, la procureure ajoute qu’un bébé, même s’il ne peut pas parler, il ressent, il absorbe les émotions. Il sait capter la violence et la peur ambiante.

Depuis les événements, monsieur Larré est soumis à un contrôle judiciaire. Il n’a pas le droit de fréquenter sa femme et parvient à voir son fils par le biais d’intermédiaires. Comme il est de coutume dans les affaires de violences conjugales, le président interroge le couple sur leurs intentions. Sont-ils toujours amoureux ? Comptent-ils reprendre leur histoire ? Chargé de jauger la nature de la relation, il joue le rôle de médiateur, de « love coach » comme on dirait dans La Villa des cœurs brisés. Un rôle à grande responsabilité puisqu’il en va de la sécurité des uns et des autres et surtout, de l’enfant. En levant ou non le contrôle judiciaire, en les autorisant à vivre ensemble ou non, la cour intervient directement dans l’intimité des familles.

©  Nina Boutléroff© Nina Boutléroff

Séparé.e.s par la justice

C’est au tour de monsieur Larré de s’exprimer à la barre. L’une de ses jambes est raidie et rapidement il coupe court au mystère qui plane sur sa maladie. Monsieur Larré est hémophile. Une blessure, même bégnine peut le mettre en danger. Une chute, un coup, un fer à repasser, pourrait gravement le blesser, voire le tuer. 

Monsieur Larré est calme, sa voix est douce et son ton pudique. « Cette histoire est plus une incompréhension qu’autre chose. Cela ne reflète pas notre réalité. », commence-t-il. Ses premiers mots sont maladroits et font tiquer nerveusement la procureure.

Très vite il exprime le souhait de vivre à nouveau avec sa femme et son enfant. Il veut prendre soin d’eux : « Nous sommes des personnes normales, éduquées et qui s’aiment » tient-il à préciser. 

Puis, dans ses réquisitions la procureure tient à rappeler que les enfants sont des éponges émotionnelles, que leur sécurité est la priorité. Elle requiert six mois de prison avec sursis ainsi qu’un stage de sensibilisation aux violences conjugales.

L’audience est terminée, le président enchaîne et appelle le dossier suivant. Je sors de la salle me dégourdir les jambes un instant. Devant la salle, le couple Larré-Diop s’est retrouvé. Ils sont accoudés à la rambarde qui surplombe cette immensité qu’est le palais de justice. Ils rient, ont l’air de deux adolescents en plein flirt.

Quelques minutes plus tard, nous nous engouffrons tous les trois en même temps dans le couloir qui mène à la salle d’audience. Monsieur Larré me tient la porte pour me laisser passer devant lui. 

Ils vont se rasseoir chacun de leur côté de la salle, lui sur les bancs de gauche, elle sur ceux de droite, en attendant le verdict qui sera prononcé probablement en début d’après-midi quand tous les dossiers auront été auditionnés. 

L’avocate de monsieur Larré se penche sur madame Diop-Larré et lui chuchote « Vous avez le droit de vous asseoir à côté de lui vous savez ». Celle-ci refuse, préfère faire bonne figure et attendre sagement le verdict. 

Elle se contente de lancer un regard doux à son époux, de l’autre côté de la salle.

 

*Les noms ont été changés


« Éprise de justice » est un projet uniquement financé par vos dons. Vous pouvez aussi m'envoyer vos retours sur Instagram à @nina_boutleroff ou m’écrire par mail à nina.boutleroff@gmail.com

Cette newsletter a été éditée par Aude Walker, merci pour la confiance et le logo est signé Alizé Meurisse <3 

...